L'agropastoralisme
La Corse traditionnelle est de bergers, c'est l'un des éléments fondateurs de sa culture et de son économie. Une tradition qui plonge ses racines aux temps anciens de la préhistoire où les ressources essentielles étaient la cueillette et l'élevage. Pour les auteurs latins, le peuple de Corse se définissait comme "un mangeur de viande, buveur de lait, exportateur de miel, de viandes séchées et de peaux".
Une économie d'adaptation
Un sol pauvre, des terrains pentus ravinés par les pluies et une terre qui s'épuisait rapidement, tous ces éléments ont poussé l'homme à s'adapter à son milieu, à vivre en communion avec son environnement. Ces conditions difficiles ont donc influencé durablement l'esprit de la Corse. Contrainte à vivre dans un environnement hostile, la société rurale a longtemps été basée sur la propriété collective des terres. Seuls les jardins et les champs plantés de fruitiers, proches des villages et abrités derrière des murets de pierre, faisaient l'objet d'une appropriation privée. Loin d'être un système démocratique égalitaire, cette pratique était avant tout guidée par la nécessité d'investir de grandes étendues de terres pour tenter d'y réaliser des cultures. Cet état de fait, qui sera remis en cause au cours du XIXème siècle, avec l'application de la loi française sur la propriété des sols, sera à l'origine d'un grand nombre de conflits.
L'organisation sociale
L'organisation de la vie agropastorale et du monde rural a renforcé le particularisme de la vallée. La communauté qui, au-dessus des villages ou de lieux d'habitat plus disséminés, fédère la population est la pieve. Vaste paroisse tirant sans doute ses origines des premiers quadrillages de la chrétienté, celle-ci reproduit la carte des solidarités géographiques déjà acquises. La pieve est une unité religieuse, un lieu de rencontre, d'expression puis de présentation et de pouvoir, autant qu'une unité juridique et économique : elle possède des terres collectives, exerce des droits fonciers.
L'espace du berger
A côté d'une agriculture limitée à l'autosuffisance, l'agropastoralisme fut pendant des siècles les système économique premier, véritable pivot de cette société rurale qui a laissé une empreinte durable dans la Corse d'aujourd'hui. Contraint d'utiliser de grandes étendues de parcours pour alimenter le bétail et recueillir la fumure, le berger, plus qu'aucun autre, s'est adapté à son milieu, le forgeant à ses besoins. Le recours au brûlis en est un exemple, les terres devenant ainsi provisoirement fertiles avant d'être de nouveau appauvries par les cultures. Alors que la constitution de propriétés privées s'est peu concrétisée, le berger s'est vu de plus en plus contraint de négocier le droit de pâture de son troupeau. Pour lui l'essentiel est de trouver de la nourriture pour ses animaux qui s'attaquent aux lisières forestières, au maquis, consommant feuillage et jeunes pousses. Ainsi le feu est-il parfois une solution pour s'assurer de la poussée dans le maquis de l'herbe et de jeunes plants.
Un homme libre
La vie du berger s'inscrit dans un système économique précis, avec ses règles, ses circuits, ses traditions et ses échanges. Dans la Corse cloisonnée aux multiples sociétés, le berger joue un rôle social important, et l'agropastoralisme est l'un des pivots de la vie rurale, scandée par les foires, les marchés et les fêtes religieuses. Pendant des siècles, le berger a servi de lien entre les communautés, rapportant de ses voyages des nouvelles des pieves voisines et les légendes des lieux traversés.
Le patrimoine pastoral
A l'image des mouvements des troupeaux sauvages, les bergers, au rythme des saisons, partaient sur les chemins à la recherche de nourriture pour leurs bêtes, quittant les villages de montagne en hiver pour le littoral et faisant le chemin inverse en été. Cette mobilité est inscrite dans la société ; ainsi la plupart des villages de montagne possèdent-ils sur le littoral un lieu constitué initialement de simples cabanes. Au fil des années, ces plages ont vu se développer un habitat plus durable, avant de se transformer pour beaucoup d'entre elles, comme Porticcio, en cités balnéaires. Parcourant les vallées, franchissant les cols, la route du berger était rude, interminable et ponctuée de haltes dans des abris sommaires construits avec les pierres trouvées sur place. Là, ils trayaient leurs bêtes et fabriquaient le fromage. Empruntés pendant des siècles par la plupart des bergers, ces sentiers ont constitué de vastes réseaux de communication qui ont marqué le paysage et la société. Les anciens chemins de transhumance s'inscrivent encore aujourd'hui dans le paysage. Devenus pour la plupart des sentiers de randonnée, ils conservent un grand nombre de vestiges de leur passé, à travers notamment ces multiples bergeries et abris de pierres qui témoignent de la vie des bergers d'autrefois.
Le spallisti
Certains bergers corses savaient lire l'avenir dans l'omoplate d'un mouton, la spalla. Ces "devins", que l'on surnommait i spallisti, retrouvaient dans cet os précédemment bouilli les lignes et traces qui leur permettaient, tels des chiromanciens, de prédire les évènememnts heureux ou malheureux.
(Source : Guides Bleus)